En septembre 1944, la IIIème armée américaine passe à l’offensive en direction du sud des Vosges. Les maquis passent à l’action. La répression allemande est sévère dans ce département et, en dehors des démantèlements de maquis, plusieurs rafles massives sont effectuées contre la population, à Raon-l’Etape, dans la vallée du Rabodeau, à Saint Dié, mais aussi dans les communes de Gérardmer, Xonrupt, Corcieux, Granges-sur-Volognes, Senones, Vieux-Moulin. Ainsi, dans la continuité des premières arrivées d’août, ce sont 1120 déportés, au moins, qui entrent au SL Schirmeck.

Dès le 5 septembre arrivent de Badonviller des hommes du maquis de Viombois, capturés la veille lors de l’attaque du maquis par la Wehrmacht.
Le 6 septembre 1944, arrivent les personnes raflées dans les communes de Charmes et de Saint-Rémy. Il s’agit d’une rafle de représailles opérée la veille par les Allemands, à la suite d’un combat engagé par les groupes locaux de résistance, en vue de défendre la ville et d’empêcher la destruction du pont de Charmes, de façon à permettre à l’armée américaine de poursuivre son avance sans accrochage sérieux. Les Allemands arrêtent alors indistinctement résistants et non résistants : au moins 139 personnes arrêtées à Charmes et 6 arrêtées à Saint-Rémy. Après Schirmeck, ils sont envoyés, via le camp de Gaggenau, au KL Dachau dans le transport du 7 octobre 1944 et sont immatriculés dans la série des « 113000 ».[1]
Le 6 septembre, arrivent également 51 personnes de la commune de Réhaincourt. La veille, probablement en représailles à l’action des maquis de la région, en même temps qu’à Charmes et à Saint Rémy, les Allemands arrêtent les 51 hommes des 300 habitants du village. Tous, sauf deux, sont déportés, après un passage pour certains au camp de Gaggenau, au KL Dachau dans le transport du 7 octobre 1944 et sont immatriculés dans la série des « 113000 ». Parmi eux, un groupe de 12 personnes est transféré le 24 novembre 1944 au le KL Auschwitz-Birkenau, dont deux seulement sont rentrés.[2]
Par ailleurs, suite à la capture de 3 soldats allemands par des résistants, le 5 septembre 1944 la Kommandantur de Bruyères convoque le maire de Champ-le-Duc et lui fait savoir que, s’ils ne sont pas libérés, des otages seront pris et le village sera détruit. Dans l’après-midi, des soldats allemands incendient les maisons et raflent tous les hommes présents et les font monter à la caserne de Bruyères. Puis ils sont dirigés vers Le Saulcy et enfermés au séminaire, avant d’être conduits le lendemain au camp de Schirmeck. Le 6 septembre, cherchant toujours les maquisards, les Allemands incendient également des fermes à Beauménil et Fiménil. En tout 45 personnes sont déportées.

Le 7 septembre 1944, les Allemands attaquent cette fois directement le maquis de Grandrupt-de-Bains. 216 maquisards sont faits prisonniers à la suite de l’arrestation, quatre jours plus tôt, du capitaine Rozot et de son adjoint lors d’un barrage de contrôle allemand, alors qu’ils remontaient au camp. Des brassards FFI sont trouvés dans leur voiture, et les deux officiers sont immédiatement emprisonnés pour être vigoureusement interrogés à Gérardmer. A la suite de quoi, le 7 septembre au matin, un fort contingent d’infanterie allemande ouvre le feu aux environs de Vioménil et passe à l’attaque. Depuis la disparition du capitaine Rozot, c’est le capitaine Arnould qui a pris le commandement, secondé par le lieutenant Poirot. Devant l’attaque allemande, il doit préparer le repli. Un messager, venant de Vioménil, est envoyé par le commandant des deux compagnies de la Wehrmacht. Il est porteur d’un papier qui émane du capitaine Rozot, prisonnier, demandant la réddition du maquis et disant que tous les FFI seraient traîtés comme « des prisonniers de guerre », mais que, faute de réddition, les représailles seraient terribles : le camp serait bombardé, les villages de Grandrupt et Vioménil détruits et leurs habitants fusillés. Les maquisards déposent alors les armes et sont arrêtés. Cependant, une centaine d’hommes réussit à s’échapper dans les bois voisins. Le soir du 7 septembre 1944, les maquisards arrêtés arrivent en camion à la prison de la Vierge, à Epinal. Ils repartent le 10 septembre, en train cette fois, dans des wagons verrouillés pour Schirmeck, le KL Natzweiler étant en cours d’évacuation. Ils quittent ce camp le 16 septembre, entassés dans des camions, à destination de l’Allemagne, via Strasbourg et le pont de Kehl, jusqu’à Gaggenau. Début octobre 1944, ils sont transférés à pied jusqu’à Rastatt. A la mi-octobre, le groupe se scinde, et une grande partie des maquisards du Grandrupt part au KL Dachau. Pour ceux restés à Rastatt, un nouveau transfert a lieu le 2 décembre 1944 vers Haslach où ils sont affectés à la carrière du Vulkan, puis début avril au camp du Sportplatz. Ils travaillent à l’installation d’une usine souterraine, pour une filiale de Daimler-Benz. Le 14 avril 1945, les survivants font partie de la colonne d’évacuation vers Offenburg.

A la fin du mois de septembre, les déportations vers Schirmeck s’accélèrent, puisque plus du tiers des arrivées a lieu à ce moment. Malgré les premières arrestations du 18 août 1944, la résistance est toujours présente dans la commune de Le Saulcy. Le 23 septembre au soir, un important détachement de soldats allemands arrive et coupe la commune de toute relation avec l’extérieur. Ils arrêtent tout trafic entre les hameaux de Quieux, Le Harcholet et Le Saulcy. Au matin du 24 septembre, chaque maison est cernée et fouillée par des soldats SS armés de mitraillettes et les hommes aussitôt arrêtés. Les hommes du Harcholet sont emmenés à Moussey, ceux de Quieux-à-la-Parrière se retrouvent dans l’après-midi au château de Belval. Là, chacun est appelé pour subir un interrogatoire. Cela dure jusqu’au lendemain où les Allemands emmènent tous ces hommes au camp de Schirmeck, sauf ceux trop jeunes ou trop âgés.
Toujours ce 24 septembre, les Allemands effectuent la même opération à Moussey. Ils cernent le village et enferment les habitants dans la cour de la crèche et séparent les hommes des femmes. Les femmes sont libérées dans le courant de la journée, et les hommes entre 18 et 50 ans sont transférés au château de Belval pour être interrogés. Les plus suspects sont brutalisés, certains torturés, d’autres sont emmenés au siège de la Gestapo à Saales. Dans l’après-midi du 25 septembre, les hommes sont dirigés vers l’Alsace par le col du Hantz et passent la nuit enfermés à la filature de Poutay. Là, quelques-uns réussissent à s’évader, deux d’entre eux étant repris le 27. Ainsi 150 hommes au moins sont déportés par la suite vers le camp de Schirmeck où ils arrivent le 26 septembre 1944. Tout ces hommes de Moussey se retrouvent immatriculés au KL Dachau.
Une autre opération concerne la localité de la Petite-Raon. Le 24 septembre, des postes de mitrailleuses sont installés à tous les carrefours et aux points culminants afin d’empêcher toute tentative de fuite des habitants vers la forêt. Ce dispositif d’encerclement étant mis en place, les soldats allemands et les services de la Gestapo occupent toutes les rues, places et impasses de la localité, entrent dans les maisons, obligeant sous la menace des fusils et des mitraillettes les habitants à sortir, pour les emmener sur la place de la Mairie sous la garde de soldats armés. Les 171 hommes de 18 à 45 ans sont rassemblés sur la route, et les femmes et les enfants sont enfermés dans l’église. Avant midi, les hommes valides sont emmenés, à pied, au Château de Belval, encadrés tous les cinq mètres par des soldats armés : toute fuite est rendue impossible. Ils passent la nuit avec ceux de Moussey. Le lendemain, toujours à pied, la longue colonne des otages est dirigée vers la filature de Saint Blaise pour une nouvelle de nuit de détention. Le 26, ils arrivent au camp de Schirmeck. Au début du mois d’octobre 1944, ils sont dirigés, en passant par Rastatt et Niederbühl, vers le KL Dachau. Par la suite, ils sont transférés soit vers les camps d’Auschwitz-Birkenau ou d’Auschwitz-Monowitz et de Buchenwald, soit vers les Kommandos de Haslach, Neckarelz, Mühldorf, Schörzingen.

Mais, si d’autres déportés sont arrêtés dans les communes de Saint-Dié, Mirecourt, Epinal, Corcieux, Provenchères-sur-Fave, à Colroy-la-Grande lors de l’attaque contre « le maquis de Lordon », tous ne viennent pas du département des Vosges. En effet, le 16 septembre arrivent à Schirmeck 3 membres du maquis d’Ecot-la-Combe en Haute-Marne. Ils sont arrêtés, parmi 10 otages, le 2 septembre 1944 à Andelot, suite à l’attaque de la veille contre des soldats allemands par des Forces Françaises de l’Intérieur. Ils sont conduits à la prison de Langres, et passent par les prisons de Limoges, Dijon, Vesoul et Epinal. Après Schirmeck, ils sont déportés dans le convoi du 7 octobre 1944 vers, successivement, les KL Dachau et Buchenwald. Au total, sur l’effectif recensé de 1142 personnes arrêtées en zone occupée et arrivées au camp de Schirmeck au cours du mois de septembre 1944, plus de 90 % sont transférées au KL Dachau et sont immatriculées dans la série des « 113000 », « 114000 », et « 117000 ». Ces personnes arrêtées dans la zone occupée arrivent dans ce camp avec d’autres déportés arrêtés, eux, en zone annexée.[3] Par la suite certains sont envoyés au KL Auschwitz : une minorité dans le transport du 2 novembre, où ils sont immatriculés entre le « 200001 » et « 200207 »; et la majorité dans le transport dit des « Vosgiens », parti de Dachau le 24 novembre 1944 où les matricules entre « 200210 » et « 201231 » sont attribués.[4]

Manuel Maris

[1]Un membre du groupe reste à Gaggenau d’où il est libéré en avril 1945.

[2]Voir à ce sujet Christian Rémy, Réhaincourt, Septembre 1944-mai 1945. Chronique d’une population déchirée, Imprima St-Nicolas-de-Port, 1995.

[3]Voir deuxième partie, les notices des arrivées au camp de Schirmeck de personnes arrêtées en zone annexée.

[4]Voir à ce sujet Le Mémorial des Français non-juifs déportés à Auschwitz, Birkenau et Monowitz, de Henry Clogenson et Paul Le Goupil. Deux de ces « Vosgiens », « Charles l’instituteur » et « Arthur le paysan », sont évoqués dans le livre de Primo Levi, dont ils étaient les compagnons au Revier d’Auschwitz-Monowitz au moment de leur libération par les Russes le 27 janvier 1945 : se reporter à l’édition française de Si c’est un homme, Paris, Julliard, 1987.