Les arrivées de janvier à mars 1943 (II.12.)

Depuis 1940, les personnes arrêtées pour sentiments francophiles ou attitude anti-allemande continuent à entrer au SL Schirmeck, témoignant d’un refus constant de l’annexion et de la germanisation imposées par les Allemands. Entre janvier et mars 1943, elles sont plus de 90, ce qui représente un peu plus de 15 % de l’effectif recensé.
60 autres Alsaciens-Mosellans sont arrêtés pour avoir aidé d’autres opposants au nazisme. Parmi eux, les femmes jouent un rôle important puisque près de 40 % de celles entrées à Schirmeck au cours de ces mois sont concernées par ce motif.
Cette opposition se traduit toujours par des actes de résistance organisée, comme celles de la filière de passage de prisonniers de guerre de Reichshoffen et du groupe Front de la jeunesse d’Alsace. La première est démantelée les 16, 22 et 24 février 1943, lors de l’arrestation de 18 de ses membres faisant suite à des dénonciations. Le second, créé par un étudiant en droit de Schiltigheim distribue, au cours des mois d’août et septembre 1942, des tracts dénonçant l’incorporation forcée dans la Wehrmacht ; 18 membres sont arrêtés au cours du mois de janvier 1943. Si tous sont enfermés au SL Schirmeck, 24 d’entre eux sont jugés les 6 et 7 juillet 1943 par le tribunal du peuple de Strasbourg, et 6 sont fusillés le 15 juillet ; tous les autres sont condamnés à des peines de travaux forcés et déportés dans les prisons du Reich.

Mais c’est surtout le refus de l’incorporation dans l’armée allemande, obligatoire en Alsace-Moselle depuis le mois d’août 1942, qui est à l’origine de la majorité des arrestations. Celles-ci se multiplient en particulier dans les communes de Kaysersberg, Limersheim, Molsheim, ou encore Nothalten. C’est principalement le SL Schirmeck, davantage que le KL Natzweiler, qui est chargé de recevoir ces personnes.
Ainsi, convoqués à la mairie de Nothalten en vue de leur recensement pour le service militaire dans la Wehrmacht, 8 camarades manifestent ouvertement contre cette incorporation en organisant un défilé à travers le village avec un bœuf, portant sur ses cornes une pancarte avec l’inscription « Führer befehl, wir folgen dir » (Führer ordonne, nous te suivons), slogan célèbre de la propagande de Goebbels, tandis que les intéressés arborent des rubans tricolores et chantent des chansons françaises. Le 12 février 1943, ils sont arrêtés et transférés au siège de la Gestapo de Colmar. Après une semaine de détention à la prison départementale, ils sont transférés au SL Schirmeck, puis incorporés de force le 25 mars dans des unités stationnées en Tchécoslovaquie d’où, après une brève instruction, ils partent pour le front russe.
A Kaysersberg, ce sont 21 jeunes gens qui sont convoqués le lundi 15 février à l’école communale pour un conseil de révision. Mais tous ont déjà servi dans l’armée française et décident de ne pas se présenter à cette convocation. Le lendemain, portant le béret basque et pour l’un d’entre eux un uniforme de soldat français, ils se rendent en cortège aux restaurants du « Lion d’Or » et « Au Château », et y entonnent « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Arrêtés, ils sont transportés directement en camions au SL Schirmeck. Le 18 mars 1943, conduits par des SS à l’école de Schirmeck, des officiers allemands leur font passer d’office le Conseil de Révision. Le 26 mars au soir, des papiers militaires leur sont remis, leurs effets civils rendus et le 27 mars au matin, des soldats de la Wehrmacht en armes viennent les chercher dans le camp. Ils prennent le train pour Strasbourg et sont intégrés directement dans l’armée allemande.[1]
A Limersheim, le 18 février 1943, 12 jeunes gens hissent le drapeau français à la hampe qui sert lors des fêtes nationales-socialistes à porter le drapeau nazi, et chantent la Marseillaise pour protester contre leur incorporation prochaine dans l’armée allemande. Le lendemain, ils sont arrêtés, interrogés et conduits au SL Schirmeck. Le 23 mai, ils sont mobilisés dans la Wehrmacht, à l’exception de celui qui, désigné comme leur responsable, est condamné à mort et exécuté au KL Natzweiler le 17 mars 1943.
A Ballersdorf, 18 jeunes gens, encouragés par le succès des premières évasions collectives, se réunissent le 12 février et décident de se soustraire à une prochaine incorporation et se groupent pour tenter de franchir la frontière suisse de nuit. Ils sont surpris par une patrouille allemande qui tue 3 d’entre eux. Un seul réussit à passer en Suisse après s’être caché trois mois dans une ferme des environs, alors que les autres trouvent refuge chez eux. Le lendemain matin, Ballersdorf est encerclé par la Gestapo et les SS. Les 14 réfractaires sont arrêtés, conduits à la prison de Strasbourg, et condamnés à mort le 16 février par le Tribunal militaire. Une heure plus tard, ils arrivent au SL Schirmeck en camion et sont entassés dans une cellule du vieux « bunker ». Le lendemain matin, ils sont emmenés au KL Natzweiler et fusillés par groupe de quatre.[2]
Le 15 février arrivent également au camp de Schirmeck, des membres des familles des réfractaires de Ballersdorf, arrêtés par représailles en même temps que leurs fils. D’autres protestations ont lieu dans les communes de Souffelweyersheim le 5 février, de Luemschwiller le 15, Roderen le 16, ou encore de Malmerspach et d’Erstein le 18 février.

Plus de 40 personnes recensées ici sont par la suite envoyées dans un KL, et 160 réfractaires au service dans la Wehrmacht quittent le camp pour y être incorporés de force.

Manuel Maris

[1]Il faut préciser que 2 d’entre eux tombent sur le front russe, et 5 autres décèdent prématurément après leur retour.

[2]Dans Histoire du Groupe Mobile d’Alsace, Besançon, 1994.