Les arrivées au SL Schirmeck, de août à décembre 1941, de personnes arrêtées en zone annexée (II.5.)

Au cours de ces cinq mois, les arrivées au SL Schirmeck se multiplient et, si les sentiments et attitude francophiles restent le principal motif d’arrestation, les affaires de Résistance se diversifient.

Plus de 65 % des personnes recensées sont ainsi arrêtées pour avoir manifesté une opposition à l’annexion et à la présence allemande. Parmi elles, plus du tiers refuse le RAD (Reichsarbeitsdienst), c’est-à-dire le service du travail du Reich auquel sont soumis les jeunes Alsaciens de la classe 1922-1942, qui depuis le mois de juin 1941 doivent se faire inscrire à la Mairie de leur domicile. Les premiers conseils de révision ont lieu en août et septembre, et les premiers départs en octobre. Dans la commune de Markholsheim, les jeunes concernés par cette mesure, après s’être concertés, décident de ne pas se présenter au recensement. Mais le maire allemand les inscrit d’office et les convoque au conseil de révision du 6 août 1941. De nouveau, ils se consultent et maintiennent à l’unanimité leur refus d’obéir à l’ordre allemand. Le jour même de la séance de révision, au lever du jour, ils se retrouvent au lieu de rendez-vous fixé la veille et s’éloignent de la localité à travers la forêt, échappant ainsi aux recherches allemandes. Mais, lorsqu’à la tombée de la nuit, ils décident de rentrer dans leur foyer, ils sont arrêtés à l’entrée de la localité par la gendarmerie et mis entre les mains de la Gestapo. Dans la soirée, ils sont transportés à la caserne des Gardes Mobiles et conduits de force à la séance du Conseil de révision siégeant à Sundhouse. A cette séance, ils renouvèlent leur refus d’être enrôlés dans le RAD. Deux jours plus tard, le 8 août, ils sont transférés en camion au camp de Schirmeck. Leur détention se prolonge jusqu’au 14 novembre, dans la baraque n°6 avec leurs camarades de la commune de Hochfelden qui, comme eux, ont refusé leur incorporation dans l’armée allemande. Par la suite, ils sont affectés aux carrières Douvier à Hersbach. Ils ne sortent du camp que pour être incorporés de force dans les unités du RAD. Certains sont ensuite versés dans les unités de la Wehrmacht. L’un d’entre eux meurt des suites de ses blessures et 3 autres ne sont pas rentrés du front. Ces jeunes réfractaires sont parmi les premiers à s’opposer et à refuser les ordres d’incorporation imposés par les autorités allemandes. Au même moment, d’autres tentent de franchir la frontière dans le même but.

Des organisations de résistance se mettent également en place. Ainsi, dès le début de l’occupation de l’Alsace, au mois de septembre 1940, un petit groupe de jeunes résistants forme une association, nommée « La Main Noire », dans le but de nuire aux Allemands en lacérant les affiches de la Wehrmacht ou du parti nazi, en colportant de fausses nouvelles ou en commettant des petits actes de sabotage.[1] Ils brisent des vitrines exposant la photographie du Führer et font les premières inscriptions anti-allemandes à la peinture sur les immeubles du parti. Le 8 mai 1941, ils organisent un attentat dirigé contre le Gauleiter Robert Wagner.[2] Cette association va jusqu’à comporter 25 membres. L’un d’eux, appréhendé à la frontière suisse en 1941, donne les noms d’une dizaine de camarades. Le réseau est totalement démantelé, après une première vague d’arrestations le 18 juillet 1941 parmi une partie des membres du groupe, et une seconde, dix jours plus tard. A la suite d’interrogatoires à Strasbourg, certains membres du groupe sont déportés à la prison de Heilbronn ou de Mannheim[3], alors que 17 autres sont envoyés au SL Schirmeck, où ils arrivent le 10 octobre. Le 31 mars 1942, 10 membres du groupe[4] comparaissent devant le tribunal spécial allemand siégeant à Strasbourg, qui les condamne à des peines d’emprisonnement allant de 9 mois à 4 ans de prison, pour sabotage, vol par effraction, bris de clôture, et atteinte aux intérêts de la communauté nationale-socialiste. La majorité d’entre eux est libérée au cours de l’année 1942.[5]

Dans ce contexte spécifique de l’annexion, il faut également signaler le cas particulier des arrestations de ressortissants tchécoslovaques. Jusqu’en 1938, l’armée tchèque est l’une des plus importantes d’Europe avec ses 1,5 million d’hommes. Après les accords de Munich, de nombreux soldats tchèques s’expatrient et forment les premières unités en exil en Pologne. Après la défaite de la Pologne, ces hommes doivent partir, certains vers l’URSS, d’autres au Moyen-Orient, d’autres encore vers la France. Avant la guerre, celle-ci ne veut pas d’une armée tchèque en tant que telle sur son sol, et n’ouvre aux exilés que les rangs de la Légion étrangère. La situation politique changeant brusquement à la déclaration de guerre, le Comité national tchèque obtient du gouvernement français la création d’une armée nationale.[6] Le 24 novembre 1941, une cinquantaine de ressortissants tchécoslovaques, arrêtés au cours des 3 jours précédents dans les communes de Merlebach, Freyming ou encore l’Hôpital, sont regroupés et enfermés dans la gendarmerie allemande de Saint-Avold en Moselle, puis le même jour, dirigés par camions vers le camp de Schirmeck. Tous ont été arrêtés par mesures prises contre « le mouvement clandestin de la résistance des anciens combattants volontaires de l’armée tchécoslovaque en France 1914-1918 et 1939-1945 ». D’autres arrestations suivent au cours des années 1942-1943. Certaines de ces personnes sont libérées après avoir passé plusieurs mois au camp de Schirmeck, d’autres sont transférées dans les KL Buchenwald, Dachau, ou dans le camp de Gaggenau ainsi que dans les prisons de Schorndorf, Stuttgart et Welzheim. Toutes ces personnes rencensées par la Fondation sont rentrées de déportation.[7]

Les premières arrestations de témoins de Jéhova (Bibelforscher), qui ont lieu à Mulhouse au début du mois décembre 1941, s’inscrivent dans ce même contexte spécifique. En Allemagne, d’après leur société, ils sont 19268 membres actifs au moment de l’arrivée des nazis au pouvoir. Pour ces derniers, les Bibelforscher représentent une opposition politique, et plus de 10000 arrestations pour « motifs religieux » ont ainsi lieu. En France, jusqu’en 1939, l’activité des témoins de Jéhova consiste surtout à diffuser des écrits bibliques. Mais les persécutions débutées dans le Reich s’étendent aux territoires annexés. Le 8 juin 1940, le RSHA promulgue une ordonnance en vertu de laquelle : « tous les membres de l’Association des Etudiants de la Bible, toute personne collaborant avec cette association ainsi que toute personne connue pour être Etudiant de la Bible, doivent être arrêtées... ».[8] Au moins 5 victimes de cette ordonnance ont été recensées par la Fondation. Envoyées à Schirmeck, toutes sont ensuite transférées au KL Dachau dès fin 1941 et immatriculées dans la série des « 28000 ». L’une d’entre elles décède au camp en avril 1942, les autres rentrent de déportation en 1945.

Au total, plus de 85 % des déportés recensées sont libérées par les autorités allemandes, près de 15 % sont transférés par la suite dans un KL.

Manuel Maris

[1]Sources : Isabelle Bogen, La Main Noire contre la peste brune, in Saisons d’Alsace, Hiver 91/92, n°114, p. 251 à 256. Charles Béné, L’Alsace dans les griffes nazies, tome IV, 1978, p. 197 à 269.

[2]Ils déposent une bombe à retardement dans la voiture du Gauleiter, pendant qu’il dîne dans une brasserie de Strasbourg, mais l’attentat échoue.

[3]Voir la notice des départs d’Alsace-Moselle en 1941 vers des prisons du Reich (2ème partie).

[4]Dont 6 venant du camp de Schirmeck et 4 des prisons du Reich évoquées ci-dessus.

[5]Seul Marcel Weinum, âgé de 17 ans, l’un des deux chefs du groupe, qui n’est pas passé par le camp de Schirmeck, est décapité le 14 avril 1942 à la prison de Stuttgart (voir en 2ème partie la notice des départs d’Alsace-Moselle en 1941 vers les prisons du Reich).

[6]Voir, A. Mollo, Les forces armées de la dernière guerre, Ed. Atlas.

[7]Marcel Neigert, dans son ouvrage Internements et déportation en Moselle 1940-1945 parle de « 52 Tchèques arrêtés en Moselle, en 1941, pour s’être engagés comme volontaires dans l’armée tchèque ».

[8]Guy Canonici, Les témoins de Jéhovah face à Hitler ; Sylvie Graffard et Léo Tristan, Les Bibelforscher et le nazisme (1933-1945), ces oubliés de l’Histoire, Ed. Tirésias, Paris, 1991.

Dernière mise à jour : 2007-07-23